Table ronde: lieux de production et de diffusion littéraire à Montréal
Le 16 novembre 2016, quelques jours après le salon Expozine 2016, s’est tenue une importante discussion et table ronde à la librairie indépendante la Flèche Rouge, au 3235 rue Ontario E., au sujet des lieux de production et de diffusion littéraire à Montréal. La discussion a eu lieu dans un contexte d’urgence, étant donné les difficultés qui ne cessent de croître pour trouver ou conserver des locaux appropriés, faute de gentrification, d’augmentation des coûts, et de manque de soutien des divers paliers gouvernementaux pour le milieu concerné.
Nous présentons ici une transcription raccourcie de la discussion qui a résulté de cette soirée.
Incluant des membres de :
La Passe (Manu/ Emmanuelle, Hubert)
Sabotart/ La Passe (Philippe)
Co-op Coup d’Griffe (Philippe CG)
L’Artère (Camille)
Kabane 77 (Hermine)
La Flèche Rouge (Pascale)
Possibles Éditions (Maxime)
La Salière (La Passe – Marjolaine)
Manu : Il y a deux ans, on avait fait une table ronde à Expozine sur l’état des lieux au niveau de la distribution indépendante avec Sabotart, avec plein de petits éditeurs qui bourgeonnaient à droite à gauche, notamment la Tournure qui ne pouvait pas être là ce soir. On rediscutera de tout ça ce soir, mais on pensait que c’était une réunion assez importante pour non seulement faire un état des lieux mais aussi essayer de voir quelle alliance on pouvait tisser au sein des différents collectifs, et voir s’il n’y a pas justement des besoins communs auxquels on peut subvenir en groupe. Souvent on se voit à Expozine, au Under The Snow, puis aux Puces Pop, puis après çà on se voit pas vraiment parce qu’on est tous dans des caves en train d’imprimer des affaires. (rires)
Moi c’est Manu, je suis un des membres fondateurs de la Librairie-Atelier La Passe, et j’ai été bénévole pour la Médiathèque Littéraire Gaetan Dostie.
Philippe CG : Je suis avec le co-op Coup d’Griffe, on est un atelier de sérigraphie principalement, puis à l’intérieur de notre atelier il y a différents éditeurs, différents projets d’art imprimé.
Louis : Un des membres fondateurs de Archive Montréal, un organisme qui a crée Expozine, Distroboto, et d’autres projets par la suite.
Camille : Moi j’arrive tout droit de l’Artère, c’est une salle de diffusion gigantesque, je cherche vraiment à partager mon espace (rires)
Hubert : Je viens de la Passe et de Sabotart. Sabotart a fêté ses 10 ans il y a un mois, ça nous a fait réaliser aussi qu’on était parmi les vieux de la vieille à être là.
Marjolaine : Je suis impliquée à la Salière et à la Passe. La Salière est un collectif de photo à la Passe.
Manu : En premier lieu, je voudrais faire un bref état des lieux de la situation de la Passe, ça touche beaucoup de monde, que ce soit au niveau de la distribution, de la diffusion, c’est quand même une place qui roulait vraiment. Je pense qu’on peut faire des états des lieux de deux façons différentes, c’est à dire qu’il y a un état des lieux plus général, de qu’est-ce qu’on faisait là-bas, qu’est-ce qu’il s’est passé, qu’est-ce qu’on cherche maintenant? Et il y a un autre état des lieux qui peut être plus le rapport sensible au lieu, l’expérience qu’on a vécue à travers ça, parce que la prémisse de base finalement de la discussion c’était vraiment, qu’est-ce qui se passe avec les lieux de diffusion par rapport aux lieux de distribution?
Est-ce qu’on peut effectuer un lieu de diffusion et de production dans une même place, est-ce que c’est viable, ou louable, ou disons désirable ?
La Passe c’est une librairie-atelier qui a ouvert à la Médiathèque Littéraire Gaétan Dostie en 2013. Dans le fond, l’idée était de réunir là-bas un collectif d’édition qui était Sabotart, puis il y avait la librairie qui offrait donc la distribution de livres indépendants et usagés. Il y avait également des ateliers de production d’imprimerie avec qui on avait un studio d’imprimerie typographique, un atelier de reliure et il y a eu une chambre noire.
Et une salle de spectacle. C’était quelque chose qui était vraiment important pour nous, d’avoir le concept de diffusion qui était la salle de spectacle, le concept de distribution qui était la librairie et le concept de production qui était les ateliers. Et tout ça était réuni ensemble, c’était au sein d’un grand bâtiment qui était aussi un bâtiment patrimonial.
On s’est fait expulser par nos propriétaires, la Commission Scolaire de Montréal, cet automne. On avait un bail de courtoisie avec eux depuis 8 ans, et on payait peu cher au pied carré mais on valorisait à 400% l’espace, donc c’était quelque chose d’assez, disons, rentable pour les deux parties.
On a subi cette expulsion-là, eux ont prétendu qu’il y avait des problèmes de qualité de l’air, qu’il fallait absolument sortir de là parce que c’est une question de sécurité publique et blablabla…
Nous on a exposé de différentes façons la fourberie derrière tout çà, comme quoi le bâtiment était pas réellement vétuste, qu’il n’y avait pas vraiment de problèmes de qualité de l’air en fait, que c’était des examens visuels qui avaient été faits par des ouvriers non qualifiés puis qui avaient été remis à des commissaires non qualifiés.
En date du 30 mars 2017, si on n’a pas sorti toutes les choses qui sont là-dedans, selon la mise en demeure qui nous a été envoyée, tout ce qui est à la Médiathèque devient la propriété de nos propriétaires. Donc, la Commission Scolaire de Montréal…
Je trouve que ça a été très très cool d’avoir une librairie, une salle de spectacle et des ateliers dans le même endroit. Avec la communauté musicale, ça a été des liens super forts, avec la communauté littéraire ça a été des liens super forts. Puis l’atelier, et la production qu’on faisait là-bas s’est enrichie de toutes ces expériences-là. Notamment au niveau de la musique, avoir des contrats qui rentraient parce que des bands venaient jouer, qui trouvaient ça cool, de faire les affiches de shows, un peu le modèle Casa del Popolo, qui était quand même une inspiration.
La librairie ça a beaucoup aidé aussi parce qu’on vendait nos trucs sur place, donc tous les profits nous revenaient directement, si profits il y avait. Ça aidait aussi la communauté littéraire à venir chez nous porter leurs trucs, on les distribuait, ils achetaient nos trucs, et en même temps on tissait des liens avec eux en tant que lieu de production. On a réussi avec des petits éditeurs comme la Tournure à produire des couvertures, de la mise en page, faire des bouquins. Donc nous on a crée une maison d’édition au final parce qu’on avait tout ce qu’il fallait pour bien lancer une maison d’édition
Mais là on se retrouve dans une situation où on se questionne beaucoup à savoir, est-ce qu’on garde un lieu de diffusion, de distribution et de production au même endroit ? Parce que l’imprimerie demande certaines choses, c’est pas les même choses que ça demande disons une librairie ou un café ou une salle de shows. Ça demande des planchers solides, ça demande un monte-charges, un accès aux camions, c’est tout des trucs que tu ne penses pas forcément au début quand tu ouvres un spot mais après 4 ans d’expérience tu te dis j’aimerai vraiment ça avoir un monte-charge, ou j’aimerai vraiment ça que mon truck rentre dans l’entrée… C’est l’fun à un niveau disons micro, mais quand tu essaies d’un peu dépasser le truc de micro-édition (qui est un terme un peu bizarre), quand tu essaies de faire des trucs de manière stable, tu te brises le nez finalement, parce que tu n’arrives pas à fournir la job.
Si ton papier est entreposé dans des conditions de marde, si ton local est pas ventilé, tu dois y penser à deux fois. À la Passe on a eu la chance de pouvoir le faire parce qu’on travaillait dans des conditions très très artisanales, sauf que ces conditions artisanales-là ne sont pas rentables. La réalité que j’ai vécue avec ça c’était que si on se ramassait dans des lieux un peu entre-deux, semi ou possiblement industriel mais pas vraiment industriel, puis qu’on voulait faire de la production semi-industrielle, ça marchait juste pas. T’as besoin de place, t’as besoin d’espace, t’as besoin de faire rentrer du monde, tu veux donner plus de cours, plus de formation. Mais tu peux pas les donner parce que toutes tes tables sont occupées par du monde qui font des trucs, fait que…C’est tout ça qu’on voulait discuter un peu aujourd’hui.
On avait déjà parlé avec le Café l’Artère il y a 8 mois peut-être, mais encore là si tu fais de la sérigraphie, ou si tu fais de la typo et de l’impression, et qu’il y a des fumes qui sortent et que le monde veulent manger des nachos, ben çà marche pas…
LR : Je pourrais mentionner un peu l’expérience des premières années d’Archive Montréal en tant que coop, collectif d’éditeurs qui ressemble un peu à votre expérience. Ça parle un peu de la pérennité, du besoin de pas juste s’organiser et se mettre ensemble, créer des collectifs, mais de les renouveler, ou de les faire évoluer ensemble.
Donc pour commencer, en 98, c’est là qu’une gang de petits éditeurs ont décidé de former un OBNL, un peu face aux mêmes défis je pense, un manque de lieu, des difficultés à se faire connaître, à produire, à partager des connaissances, des ressources en impression …On était une dizaine de petits éditeurs, j’éditais un fanzine assez bien connu à l’époque, il y avait Benoît Chapût de L’Oie de Cravan, Simon Bossé, Mille Putois, la sérigraphie, Julie Doucet. On sentait le même défi, chacun individuellement. C’était un autre monde en 1998, par exemple pour la revue que je publiais, Fish Piss, j’avais 36 ou 40 libraires à Montréal où je le vendais en consigne, pas juste des libraires, aussi des disquaires, des cafés. Parfois on les convainquait d’en mettre sur le comptoir près de la caisse.
Une des origines de l’idée de se regrouper pour faire un OBNL, c’était de mettre les forces ensemble, pour partager par exemple la tâche de faire le tour de tous ces magasins-là. Une coop de distribution, que tant qu’à être 10 éditeurs à faire le tour de ces places-là en même temps individuellement, on pourrait peut-être prendre des tours et amener chacun de nos trucs. Malheureusement peu après, l’année 2000, plus de la moitié de ces libraires-là qui ont fait faillite ou ont arrêté de prendre des consignes. À l’époque, il y avait même Renaud-Bray, Chapters, Indigo, Multimags qui étaient ouverts à prendre des fanzines en consigne. C’était un autre monde, çà roulait quand même la vente de publications à tel point que ces options étaient là.
Il faut aussi mentionner qu’on était tous dans la vingtaine-début trentaine à l’époque, très ambitieux, on voulait pas mal tout faire dans un organisme, déjà qu’on voulait faire la promotion artistique et la préservation, ainsi qu’une sorte de coopérative de distribution auquel on va inclure de plus en plus d’éditeurs, finalement on pensait aussi à un espace de création, des espaces de partage d’imprimerie, de sérigraphie, d’ateliers, par la suite la médiation culturelle, les expositions…Bref, on est très ambitieux quand on est jeunes, on commence un projet et on veut tout faire !
Quand on a commencé l’organisme on pensait que le siège social pourrait être un petit café coopératif qui s’appelait Artishow, show comme un show, Art et Show, (rires) c’était une coopérative très underground, sur la rue St Laurent près de St-Joseph, donc on a érigé notre premier comptoir de fanzines communs là. Malheureusement ça a pas pris longtemps, on avait peur que ce lieu-là soit pour disparaître, ils étaient vraiment pas organisés. Heureusement, quand c’était sur le point de disparaître nos collègues du groupe Godspeed You ! Black Emperor commençaient à connaître le succès, et quand le mot s’est passé qu’il fallait trouver des gens responsables pour investir dans ce lieu-là et le garder en vie …Bref, vous savez le restant de l’histoire, c’est devenu la Casa del Popolo. On a continué à gérer le comptoir de fanzines là, et on a tout de suite vu la possibilité, on n’a pas besoin d’aller se chercher un lieu pour nos événements, nos lancements et tout ça, le voilà ! Donc ce coté-là est fait par des partenaires, et on peut vivre avec ça. Côté distribution, là aussi ça commençait à être de plus en plus difficile, même dans les cafés, ça a donné naissance un peu à l’idée du réseau des machines Distroboto. Donc ça c’est concrétisé comme notre activité de distribution commune, et ça a pris beaucoup plus de temps et d’énergie qu’on pensait, développer ça…Mais c’est devenu le pilier de qu’est-ce qu’on fait pour la distribution jusqu’à aujourd’hui. S’il y a une leçon à tirer de ça c’est qu’on pensait pas que notre projet de collaboration, de partenariats en diffusion finira par se concrétiser par un réseau de machines à cigarettes, mais bon, il faut prendre les moyens qui se présentent . C’est en fait en mentionnant cette idée-là que peut-être qu’une machine pourrait être intéressante…Les gens de la Casa del Popolo ont tout de suite dit « On en veut une! On en veut une ! ». Donc c’était juste 4 mois après que la Casa ait ouvert qu’on a installé le premier Distroboto là.
Hubert : C’était en quelle année ça ?
LR : En 2000, quand la Casa a ouvert, on a développé le projet pas mal tout le long de 2000, c’est depuis janvier 2001 que Distroboto est lancé. Pour la première machine Distroboto, on a tous mis de l’argent dans un chapeau et on a réussi à couvrir les coûts.
Le premier Expozine, c’est un peu la même affaire, ça c’était en 2002, juste après qu’il y ait eu la Sala Rossa, le premier Expozine était à la Sala Rossa. Là aussi on a mis de l’argent ensemble, si je ne me trompe pas c’était pas loin de $1000 chaque pour 6 partenaires, on parle quand même de certains coûts, pour faire de la promotion, louer un lieu, des tables… On avait réussi à arriver juste avec la première édition, et comme ça marche un peu dans le monde OBNL, la promotion artistique tout DIY avec aucune bourse ou soutien financier d’autres. On a commencé des projets qui ont été bien menés et par la suite, peu à peu on est maintenant assez dépendants des bourses des Conseils des Arts et de diverses sources pour ces projets-là. L’expérience depuis, c’est il faut continuellement renouveller, évidemment, les partenariats, surveiller le terrain, le milieu de l’édition, comment ils évoluent. Heureusement, on a pas eu trop à changer à part du fait d’avoir ce défi d’accommoder une demande croissante. C’est vraiment incroyable de voir, en 1998, on pensait connaître tous les gens qui étaient pour participer à notre foire, y en avait un peu plus, mais c’était quand même intime. On pouvait faire une liste de tête des éditeurs qui sont en ville. Maintenant chaque fois qu’on fait Expozine on a la place pour..jusqu’à cette année, c’était 275 éditeurs, malheureusement cette année on avait plutôt de la place pour 200-210. On arrive jamais, jamais à répondre à la demande et on constate de plus en plus de partenaires, de collectifs en fait. C’est quelque chose qui est beaucoup plus courant maintenant que ce n’était le cas à la fin des années 90. Les maisons d’éditions collectives, ainsi de suite…
On se trouve maintenant très intéressés à travailler avec les nouveaux partenaires, et d’appuyer justement ce besoin pour des espaces collectifs de production. On a perdu un espace très important avec la Passe, on avait des expositions prévues prochainement, on a tenu notre Gala Expozine à La Passe. On est un peu dans une situation difficile à envisager 2017 avec tous les lieux qui ont eu des pressions, qui ont fermé. On est donc heureux à Expozine, tant qu’à rassembler dans une salle tous ces gens-là qui ont des défis communs, des idées à partager entre eux, à part de partager des idées avec la personne qui a la table à côté de toi, d’avoir ce genre d’événement ce soir où on peut aller un peu plus profondément dans les questions qui nous touchent tous. C’est très important et je suis très content de laisser la parole aux autres dans cette optique.
Hubert : C’est un beau cours d’histoire ça…. (rires)
LR : Ben, c’est pour montrer que ça fait 18 ans qu’on fait ça, et ça se ressemblait beaucoup au début…. même défis, différentes époques.
Manu : C’est un peu ça aussi dont on voulait parler, le fait que les paradigmes se resserrent contre nous. Pour l’expérience de la Passe, c’était assez bien pour penser à agrandir finalement plus que fermer.
Philippe CG : On peut parler un petit peu de la Coop Coup d’Griffe, on est situés coin Maisonneuve-Parthenais depuis 3 ans dans un beau 2ieme étage, bien lumineux avec des belles fenêtres. On est arrivés là, on n’avait pas beaucoup de machines au début. Maintenant on est vraiment bien installés, sauf que l’espace nous coûte cher pour ce que c’est. Notre bail finit en avril, mais on sous-loue un espace aux gens qui sont en bas de nous, et qui ont un bail qui finit en 2020. Fait que si on s’en va c’est un paquet de trouble pour eux-autres, parce qu’il faut qu’ils se trouvent des gens qui vont vouloir sous-louer aussi. Bref, oui on cherche genre à déménager éventuellement, ça c’est sûr et certain, sauf qu’on est pas dans un état stressant comme La Passe qui n’a carrément plus de local.
On cherche quand même un lieu où on pourrait vendre nos productions sur place, et faire des événements. L’autre option est un lieu où on se concentre vraiment à faire de la production, et je pense que c’est peut-être ça le plus logique à travers ce qu’on entend. Dans cette optique-là, je pense qu’il y a une couple d’ateliers de sérigraphie en ville qui payent cher pour leur atelier, donc ça serait peut-être intéressant à long terme de mutualiser notre équipement.
LR : La question est de voir qu’est ce que ça prend pour le remplir et de rendre abordable pour chaque partenaire le lieu trouvé.
Camille : Je vous inviterai à venir regarder ce qui se passe à l’Artère, c’est comme une grande salle de spectacle, mais on a un grand local vide derrière la salle, au rez-de chaussée. Le bâtiment s’appelle la Maison de la coopération, tous ceux qui sont dans le bâtiment sont des coopératives-membres de cette grande coopérative de solidarité. Le loyer est un peu cher, eux-mêmes en arrachent pour pouvoir maintenir le bâtiment qui a été racheté il y a deux ans. Moi, j’étais juste fatiguée avec mon équipe de maintenir un restaurant en journée avec 2 cafés l’autre côté de la rue… on est tout le temps en train de se battre pour avoir la clientèle des étudiants autour, et en même temps on se dit que c’est même pas ça qu’on veut faire…On veut plus travailler à la diffusion depuis le début, créer un lieu social, un projet politique aussi, c’est horizontal.
Philippe CG : Je pense que le plus gros problème qu’on rencontre à date c’est l’immobilier. C’est tellement cher partout pour qu’est-ce qu’ils t’offrent, c’est aussi tout le temps la menace, j’ai pas envie de re-déménager pour une troisième fois la coopérative à un endroit que je sais pas à la fin de mon bail combien le propriétaire va décider de me charger ou de me dire que je peux plus être là. On veut trouver une place dont on ne va pas se faire chasser, où on ne va pas avoir de surprises d’augmentation. On veut s’impliquer à vie en fait. (rires)
Philippe : Je veux pas être platte, mais à Montréal, ces places-là, je sais pas si elles existent.
Philippe CG : J’en doute de plus en plus….
Manu : Nous avec La Passe, plus Hubert et Phil, on a vécu l’expérience de rencontrer les élus, d’essayer de passer par les moyens publics et tout ça, chaque fois ce qu’on se fait dire c’est : y en a pas de building, on n’a pas de building, on n’a pas d’argent, mais on est prêt à signer une lettre d’appui. Ce changement-là est assez radical comparé aux années 80 où le loyer était pas cher à Montréal, tu pouvais encore habiter sur le Plateau et tout ça.
Par contre, pour les contrats, de ce que Louis dit, du fait qu’il y a beaucoup plus de collectifs d’édition, beaucoup plus de groupes de personnes qui se rassemblent… De mon expérience personnelle, deux petits imprimeurs que je connais qui sont Kata Soho puis Gauvin, le nombre de personnes que j’ai envoyé se faire imprimer là-bas! Et de voir les imprimeurs de Kata Soho pas manger pendant trois jours avant Expozine puis fumer cigarette sur cigarette… Les contrats c’est pas quelque chose qui manque en ce moment. Même vous chez Sabotart pour ravoir des livres de chez Gauvin, ça prend un osti de bout de chiard. Je dis pas qu’il vont faire des millions là, mets du manger sur la table puis that’s it là. Hermine, je crois que tu voulais dire quelque chose…
Hermine : Je voulais répondre à ce que tu disais Hubert, ben il ne faut pas se leurrer, ce lieu-là existe pas. Je pense que peut-être une des choses intéressantes à faire c’est de faire en sorte que ça existe, de se battre comme on le fait avec Kabane 77 depuis 4 ans pour qu’on puisse obtenir des lieux pérennes. Je pense qu’il faut vraiment sortir du paradigme de on va donner notre argent à un propriétaire et puis espérons que ça soit pas trop cher, parce que ça sera toujours trop cher. Ce qu’il faut faire en sorte, c’est ce qu’on essaie de construire à Kabane, c’est créer une masse critique de gens qui ne peuvent plus continuer à créer dans ces conditions-là, qui ne peuvent plus faire face à l’augmentation des loyers, qui ne peuvent plus… Et ce que pendant très longtemps l’arrondissement nous a répondu parce que c’est eux qui sont propriétaires du bâtiment qui nous intéresse, c’est ah oui mais on a mis tout notre argent dans Pied Carré… c’est un building qui a été financé partiellement aux frais de la Ville pour que les artistes du quartier puissent avoir un espace justement pérenne, mais en fait les taxes foncières de ces locaux n’arrêtent pas d’augmenter et que les artistes se retrouvent à être obligés de quitter.
Fille : Je me suis impliquée dedans, Atelier Circulaire crèvent la dalle vraiment, parce qu’ils ont vécu une augmentation je crois de 200% pour se retrouver avec le même problème que vous par exemple, mais avec un équipement qui coûterait à peu près 80000$ de déménagement. Un centre d’artistes autogéré depuis 35 ans… Comme dit Hermine, avec ce genre de mouvance, si on arrive à cette masse critique-là, il y a quelque chose qu’il est possible d’étendre, qui recoupe pas nécessairement les besoins de tout le monde ici, je pense que ça va plus loin.
LR : Ils ont fait un arrangement avec un propriétaire vaste qui a des douzaines de bâtiments, et ils m’ont admis qu’ils mettent une croix là-dessus, ils ont eu leur leçon, et c’est tous les artistes qui goûtent les conséquences. Donc évidemment, mieux de pas se fier trop sur les élus, surtout quand ils ne sont pas expérimentés. S’il y a un côté positif en autant que ces élus là soient en place, ils sont prêt à appuyer quelque chose qui est plus indépendant, une copropriété collective, évidemment ils ont eu la leçon. Par contre ils n’ont pas beaucoup de moyens, ou dans le cas de Kabane, ils n’ont pas beaucoup d’intérêt dans ce lieu-là en particulier.
Hermine : Dans Kabane, ce qu’on nous oppose c’est que l’arrondissement ne fait que des cogestions, et nous ce qu’on dit à ça c’est nous on veut pas de cogestions, on veut un projet autonome justement pour qu’on puisse être pérennes. Parce que si on fait une cogestion avec vous, du coup on est obligés de se plier à tout ce que vous nous demandez, et c’est pas comme ça qu’on travaille. C’est un bras de fer, c’est sûr, sauf qu’on avance beaucoup, malgré tout, c’est pour ça qu’on voulait être ici ce soir, parce que je pense que c’est intéressant en fait de constater les forces en présence et je pense qu’il y a un coup à donner, mais c’est pas très loin de bouger dans la mesure où c’est des gens, c’est la Ville dont ils comprennent très bien les pressions électorales, ils comprennent très bien… Il faut l’humour, en fait, et c’est un gros espace.
Fille : J’ai une question, y a –tu du monde de Bâtiment 7 ici (projet à Pointe-Ste-Charles), qui sont au courant de ce qui se passe?
Michel : Dernièrement, ça a commencé à débloquer en fait, ils ont reçu de l’argent pour la maçonnerie. La question déjà, dès le départ ,ils s’étaient fait donner le bâtiment, en plus d’un million pour faire des travaux, mais juste la remise aux normes, ça coûte environ 7 millions. C’est deux personnes qui ont des subventions salariales à temps plein qui font tout ça, c’est comme un projet immense, mais là c’est comme en train de tourner vraiment.
Philippe : De ce que j’ai entendu ils veulent ouvrir début 2018, ils veulent ouvrir une partie du bâtiment, qui serait comme l’équivalent du tiers à peu prés, puis éventuellement ouvrir toute la partie atelier.
LR : Ça a l’air très prometteur, c’est une histoire positive, je voudrais pas prendre 8-9 ans, mais les façons qu’ils ont trouvé pour mettre des morceaux d’investissement et de choses ensemble c’est peut-être inspirant quelque part pour d’autres projets qu’on a..
Philippe CG : Ça amène aussi à une question que je voulais vraiment aborder, c’était l’implantation dans un quartier, tout ça, parce qu’avec Kabane 77, ça a été vraiment beaucoup abordé, avec le Bâtiment 7 aussi, avec Coup d’Griffe on parlait vraiment souvent de ça, de qu’est-ce que ça veut dire être implanté dans un quartier, surtout pour un lieu de production ? Parce qu’un lieu de production en principe on voit ça comme quelque chose d’anonyme, qui est derrière des murs clos, qu’on ne voit pas, on ne pénètre pas cet espace-là…puis qu’on voit juste le produit fini finalement, dans la vie normale.
Homme : Pour faire le point par rapport à La Passe par rapport à son quartier, pour répondre à la stratégie de gentrification du centre-ville, que la Ville a émise sous le titre : Stratégie Centre-Ville : Soutenir l’élan, dans cette stratégie-là, la Ville énonce son intention de soutenir les travailleurs de ce qu’elle appelle l’industrie créative, elle emploie des mots assez forts, elle dit faut soutenir ses acteurs économiques sensibles au foncier, et défendre des lieux de travail qui répondent à leurs besoins, il y a le mot « défendre », alors peut-être avec des mots comme ça, que vous pourriez trouver un intérêt chez des élus…
LR : Ça serait bien, mais ce plan pour le centre-ville, si je me trompe, le thème du plan c’est de doubler la population résidentielle d’ici à 2025 je pense, qui est en même temps à l’encontre de tout ce qu’on pourrait espérer sur les pressions pour des espaces.
Homme : C’est une stratégie inflationniste, dans le foncier, là…
LR : Il faut peut-être s’impliquer ou participer, il y a des sondages en ligne, des comités de consultation, il faut s’assurer que ce n’est pas juste des mots sur la page, mais que ça se fait. Pas comme Pied Carré, où on choisit quelques gagnants et on dit qu’on a sauvé le milieu artistique d’un quartier…
Pascale : Je pensais à çà, on parlait de Pied Carré, ici dans Hochelaga y a un truc qui se passe sur Ste-Catherine, ils veulent faire de la grosse revitalisation artistique et ils parlent de nouveau de rendre accessibles des locaux qui ont pignon sur rue, d’en faire des lieux de production-diffusion, où les artistes peuvent produire et vendre leurs produits. Il y a déjà un gros immeuble qui est en train d’être rénové, pour devenir un gros immeuble d’ateliers d’artistes, pour les gens du quartier, mais plus ça avance, naturellement y a pas de surprise, plus on se rend compte qu’en fait non, ça sera pas abordable pour les artistes du quartier, ça va être des artistes d’autres arrondissements qui vont venir. Tant mieux pour eux, mais c’est la même chose que d’habitude, enfin..
LR : Faut faire attention, des fois ils parlent d’industrie de la créativité ou les créateurs, puis ils pensent les Ubisoft, les jeux vidéos, les « créatifs » de l’industrie de la pub…
Pascale : Là ils parlent vraiment d’ouverture vers les artistes, les artistes les artistes.. mais quels artistes, ok ! Ici du quartier, ou ici les 3-4 artistes d’ici qui ont percé et qui ont du cash …
Hermine : Mais justement, quand on essaye de réfléchir avec la Kabane c’est justement de sortir de l’idée de l’artiste-entrepreneur et qui donc ayant bien mené sa petite business d’artiste va devenir une entité capitaliste qui va pouvoir payer un loyer. Ce qu’on nous dit souvent quand on présente le projet de Kabane c’est ah mais y a pas de problème, avec les pieds carrés qu’il y a vous allez tout pouvoir louer ça et ça va se rentabiliser, mais ce qu’on essaye de réfléchir c’est justement sortir de ça, de pas louer, c’est des questions qu’on se pose beaucoup et je pense que ça serait intéressant d’ouvrir la réflexion. Est-ce que c’est possible d’occuper un espace, et dans ce sens on a observé La Passe avec beaucoup d’intérêt et d’interrogations, et on se disait est-ce que c’est possible d’inventer une nouvelle façon d’occuper un lieu ensemble ? Est-ce que c’est possible de trouver, de sortir de la question on loue pour pouvoir vivre, pour pouvoir travailler.
Manu : Dans le fond ça serait-tu pas d’essayer de trouver un building, de l’avoir genre au moins cher possible puis créer une OBNL qui gèrerait…
Une guilde ! (rires)
Bâtiment 7 c’est..
Philippe CG : Oui, mais c’est vraiment dans le fond de Pointe-St-Charles puis quand tu parlais d’attachement au quartier où tu es…Nous on est vraiment dans l’Est, on est quand même central puis dans l’Est puis c’est ça depuis le début, et quasiment tous les gens de la Coop habitent dans Hochelaga ou dans le Centre-Sud fait que, de penser déménager, même dans Rosemont, moi personnellement en tout cas, ben, je vais jamais dans Rosemont, sauf quand je m’en vais voir mes amis à la cour à scrap, porter des matériaux… (rires)
LR : Faut pas oublier qu’en 95-96-97, quand les lofts sur la rue Van Horne commençaient à venir à la vie, c’était au bout du monde. Tu sais, tout le monde parlait de l’odyssée de revenir ou d’aller à un show là à pied, t’es comme, argh, une demi-heure de marche pour arriver à Duluth. Là on s’est habitués. Par contre on parle d’une nouvelle époque où les gens parlent d’Ahuntsic ou plein de coins, ben il faut quand même se rassurer que peut-être c’est pas toujours la fin du monde.
Fille : Oui, je pense que la distance peut être facilement surmontable avec de la motivation et toutes sortes d’autres raisons, mais je pense aussi que l’attachement à un quartier et à un milieu de vie c’est quelque chose d’assez important.
LR : Je pense qu’on devrait avoir le droit de trouver une solution dans un quartier comme le Centre-Sud ou dans le Mile-Ex, Parc Extension, ça serait ridicule si c’est gentrifié au point qu’il faut se retrouver en banlieue. Il faut dire haut et fort, généralement, que dans le centre de la ville, on a le droit d’avoir des artistes et des ressources pour eux…
Fille : Mais cette dynamique-là, elle va s’accentuer. Y a des gens qui arrivent de partout aux États-Unis puis au Canada à Montréal parce que c’est l’une des dernières villes ou il paraît que c’est pas impossible. Vancouver, la ville est complètement morte pour tout ce qu’on parle de ça…
LR : Oui, ils essaient de ‘remettre’ un quartier culturel parce qu’ils ont quasiment tout perdu…
Manu : Dans les examples des dernières années, si on essaye de faire une mémoire un peu collective de ce qui a fonctionné, à part le Bâtiment 7, c’est comme…puis il y a genre 10 livres qui ont été écrits dessus. Puis ça a pris…15 ans tu disais ? Je pense c’est 8, mais…Quand Hermine tu dis, on regarde la Passe avec intérêt, tout ce qui se passait là-bas, il faut quand même savoir que c’est un miracle, c’est pas arrivé parce qu’on s’est battus pour.
Hermine : C’est une aberration, même !
Manu : C’est ça ! C’était 1000 piastres pour un 6000 pieds carré…
Hermine : Moi je parlais surtout de la façon d’habiter les lieux une fois que le problème du loyer est résolu…
Manu : Mais c’est ça, le problème du loyer était résolu, on était un dossier perdu de la Commission Scolaire, qui savaient absolument pas qu’on était là…(rires) Avec la Kabane, ça semblait être ça mais comme tu dis, depuis la revitalisation de Van Horne, ben dans le Mile End, dès qu’il y a quelque chose un tant soit peu intéressant c’est comme…tout le monde veut vendre du yogourt bio à 8 piastres…C’est fini, là…
Mais je voulais quand même revenir au truc des quartiers, c’est aussi comme ça ailleurs. Même si on dit que Ahuntsic c’est la banlieue, St-Michel c’est la banlieue, Montreal-Nord c’est la banlieue, je connais une fille qui s’appelle Gabriella qui veut partir une librairie et un espace de diffusion dans Montréal-Nord, qui s’appelle la Librairie Racine, puis elle me dit la même affaire, c’est super cher, même dans Montréal-Nord. Les dollaramas ouvrent à la tonne, puis c’est un autre genre de gentrification. J’ai caressé souvent le rêve d’aller plus au nord de la ville justement pour trouver un espèce d’acre paradisiaque, mais l’expérience d’aller voir des locaux là-bas avec elle… Quelque chose à 800 $, ça ne se trouve pas là.
Maxime : Salut je m’appelle Maxime, et je suis membre de Possibles depuis un bon bout de temps. On était sur Ste-Catherine avant, dans le centre-ville, un grand loft de graphistes, puis à moment donné on a acheté deux presses offset donc là ça fonctionnait moins bien. Puis on a déménagé, ça a été super compliqué, on a cherché pendant au moins une année et demie. Étant donné qu’on avait des machines, c’était absolument difficile de trouver des loyers qui étaient pas trop chers puis où il y avait la possibilité de faire rentrer l’équipement. Au final, on a déménagé dans le Bovril coin de Parc et Van Horne, c’est Ateliers Créatifs Montréal qui a ce bâtiment-là. Ça a été toute une aventure, assez compliquée, et ça l’est encore en fait. Le loyer est pas particulièrement abordable, et on a la chance d’être avec un autre projet qui s’appelle Bookart (Anteism), c’est un relieur, on partage notre espace de production avec eux. On a aussi des bureaux dans une vieille école, dans un bâtiment qui était une vieille école sur Clark, et puis on arrive à payer le loyer parce qu’on loue des bureaux à d’autres groupes en tant que « coworking » sur Clark. Ça nous permet de financer une partie du loyer de la fabrique, mais ça reste précaire…
Au début on avait le rêve d’avoir un usage à temps plein des équipements, on voulait trouver une manière de créer une sorte de plateforme d’auto-distribution, auto-édition, auto-production, mais au final avec toutes les contraintes immobilières, l’accès aux équipements, les horaires, ça s’est énormément complexifié. Mais cette volonté-là reste derrière le collectif. Un des modèles qui nous inspire beaucoup c’est celui de l’imprimeur-libraire, libraire-imprimeur…Au 17eme-18eme siècle, quasiment tous les imprimeurs étaient libraires puis avaient leur espace où les typographes rencontraient les écrivains. Des gens avec des parcours et des horizons assez variés finissaient par se croiser à ce point de rencontre-là. Ça c’est quelque chose qui anime encore énormément Possibles.
Manu : En écoutant les différentes options, je me disais, ça serait pas possible, sur disons au moins le moyen-terme, de trouver une forme d’alliance, je sais pas exactement laquelle, de faire quand même pas mal de bruit, d’avoir beaucoup de visibilité, des revendications assez claires, jusqu’à passer par, je sais pas, même une campagne de socio-financement pour acheter un quadruplex quelque part. J’imagine qu’en s’y mettant à plusieurs y a moyen d’aller chercher des fonds pour acquérir une petite bâtisse. Y a quand même des possibilités, c’est sûr ça correspond à rien avec Kabane mais.
Hermine : Ben, ça peut…
Manu : Ils le vendent-tu ?
Hermine : 400,000$. C’est à vendre sur le site internet de la ville, sauf que, ils veulent pas vendre à nous. On sait pas si on veut l’acheter, c’est un bâtiment qui a des défis architecturaux, c’est certain, mais rien n’est impossible, c’est juste que pour l’instant, on s’est calés pour tenir un bail de 99 ans avec un loyer symbolique. Et qu’ils nous donnent de l’argent, parce que c’est un bâtiment qui devait être détruit, donc la ville nous donne l’argent de la destruction et de la démolition pour qu’on puisse faire le travail.
C’est qu’on ne veux pas rentrer dans une dynamique de devoir faire payer des espaces au monde, cher, pour pouvoir toi avoir ton petit espace pas cher. Je dis pas que c’est ce que vous faites, mais tout le monde a cette réalité-là à moment donné.
LR : Peut-être pour parler de comité, parler de table de concertation, tous ceux qui ont les mêmes besoins, ça pourrait être intéressant de s’allier pour faire pression en signant une lettre avec une quarantaine de signataires, de collectifs, de groupes, qui signalent les mêmes besoins. Une question de dire, nous voici, on fait tous face aux mêmes défis, est-ce que vous, les élus, les conseils des arts, les personnages, les investisseurs veulent témoigner notre éradication ou nous aider ? Moi je n’hésite pas à souligner l’urgence, c’est pas quand le dernier centre va fermer des locaux que ca sera le temps de le faire. C’est déjà le temps d’agir depuis quelques années.
Je pense à 2008 quand il y avait la crise financière, tout-à-coup il y avait le programme de stimulus, des millions se sont lancés par les portes, la SAT qui avait tout de suite sauté là-dessus pour rénover leur bâtiment, construire une sorte de dôme, il y a d’autres organismes aussi qui ont tout de suite pris cet argent-là pour essayer de faire de quoi. C’est jamais parfait, mais s’il y a un regroupement qui est déjà en place, et qu’on identifie un programme du genre on peut sauter dessus. Mais entre-temps, c’est plutôt pour faire du bruit, et signaler, je crois pas que c’est connu à quel point 2016 a été très difficile pour toutes sortes de raisons. Le milieu commence juste à réaliser, là en fin d’année, que c’était tout le monde, dans les centres d’artistes, c’était des compressions généralisées en même temps que des augmentations de loyer, taxes foncières, frais de bâtiment…Pour ceux qui sont avec des loyers abordables ou des situations correctes, c’est des fins de bail, des évictions, tous ceux qui veulent démarrer et commencer, ben là, ils ont éradiqué les CDEC (Centres de développement économique et communautaire), qui auraient pû être très utiles…C’est toute une liste de défis.
Donc si un regroupement peut se faire sans incorporer une association, ça serait monter une page web et dire, on invite les gens dans le même esprit, le même désir pour le milieu, et envoyer des communiqués…
Pascale : De ma part, ce que j’aimerai dire, c’est une librairie ici, c’est pas un collectif sauf que, bien qu’étant construite sur un modèle d’entreprise, ça touche plus à l’économie sociale qu’à une économie qui va se développer jusqu’à devenir un Renaud Bray, mettons. Le lieu, pour ce qu’il est, pour ce qu’il fait, pour ce qu’il représente, avec un loyer aussi élevé que ce qu’on paye en ce moment, c’est difficile, surtout quand le propriétaire a carrément le droit de vie ou de mort sur la place ici. Là on se bat depuis la signature du premier bail, on se bat pour pouvoir faire des renouvellements à plus long terme, puis le propriétaire refuse. Là on a renouvellé pour juste un an, il refusait même de faire un renouvellement de 2 ans, donc 5 ans c’était complètement hors de question pour lui. Il ne veut pas qu’il y ait des choses politiques qui se passent dans les lieux qu’il loue. Donc vraiment, là en ce moment ça va bien, ça roule, on a un espace, sauf que ça peut basculer vraiment du jour au lendemain… C’est inquiétant. Dans Hochelaga en ce moment, y a pas vraiment d’autres locaux qui sont en bas de ce que je paie en ce moment, sauf les endroits où il faudrait que la personne qui le loue mette 30-40000$ de rénovations de sa poche. À moins d’aller chercher des subventions, mais encore là c’est pas certain… Y a de quoi avoir le vertige !
LR : Ça c’est une réalité un peu partout, pendant que les valeurs augmentent, les durées des baux sont de moins en moins longues, sauf si le propriétaire est très sympathique, mais c’est de plus en plus difficile.
Pascale : C’est ça, quand t’es toujours sur le mode survie à court terme, t’as toute une partie de toi qui n’est pas capable de t’investir dans la vision à long terme. Si on se fie à la ligne du temps historique, quand les peuples ont commencé à être sédentaires, l’art s’est développé, les technologies se sont développées, ben pour des lieux comme nous c’est la même chose, tant qu’on est là dans la survie, à essayer d’être sédentaires, tant qu’on est pas réellement sédentaires, on peut pas se développer, s’étendre, et étendre nos racines. Et ça c’est vraiment un danger.
LR : En plus, les associations, les lieux, les centres d’artistes, les collectifs, les locaux collectifs de production, font en sorte que les écrivains, les artistes qui sont nos clients ou notre communauté, eux-autres se fient sur nous pour une certaine stabilité à moyen terme, terminer un roman, un livre, une œuvre, et une fois que ça frappe tout le monde, les locataires des organismes, on est très près de tout déchirer le milieu littéraire de Montréal.
Manu : Si on perd des lieux de production, on perd le travail de nombreux artistes, travail de qualité important, si on perd les lieux de distribution, de diffusion, ben les artistes ont plus de lieux pour distribuer leur travail, donc…
LR : J’ai fait référence plus tôt aux débuts d’Archive Montréal : je doit souligner que le plus grand sentiment qui nous a amené à finalement former l’association après avoir en parlé pendant quelques années, c’est qu’on commençait à entendre les gens dire, « bon ici à Montréal, tant qu’à être écrivain et artiste, y a rien, pourquoi créer ici ? ». Tsé quand y a eu une vague de fermetures de libraires indépendants, les gens se sentaient, est-ce qu’on déménage ailleurs ? Il y avait une certaine panique, Montréal était pour perdre sa réputation d’être une place où on peut venir créer, si on ne montait pas de projets collectifs rapidement…Heureusement on a réussi à le faire, une des choses dont on est le plus fiers à propos d’Expozine et Distroboto c’est que c’est des incitatifs à créer. Mais si peu-à-peu on commence à enlever des bribes de cette structure-là qui a été érigée, c’est là que c’est dangereux, ça peut reculer très rapidement…
Manu : Reculer, s’effondrer… C’est menacé.
LR : Est-ce que les élus, les Conseils des arts, les gens qui disent aimer les arts et même les mécènes et les compagnies comme Ubisoft, disent, on aime ça être dans une ville pleine de créateurs? Il faut bien leur dire, c’est pas pour toujours, il ne faut pas prendre ça pour acquis. Sans un effort concerté, ça peut tout disparaître. C’est platte qu’on se dirige vers l’année 2017, la ville disent qu’ils veulent se donner des legs permanents, puis au final là ils parlent d’une gondole pour aller du Mont-Royal jusqu’au Vieux Port. Pourquoi ? 85 millions de dollars qu’ils vont mettre juste pour la promenade du Mont-Royal au Vieux-Port. 10% de ce montant pourra couvrir tous nos projets et nos loyers pour 10 ans. Je sens déjà sur le terrain une réaction des petits contribuables contre des dépenses complètement sans limite du bureau du 375e, il pourrait y avoir une sorte de sentiment d’avoir gaspillé tout cet argent-là qui pourra jouer dans notre faveur. Ça prend pas 85 millions, faites donc un petit fonds pour dire qu’en 2017 on va faire de quoi pour investir dans ce milieu-là.
Philippe CG : Y a pas des élections qui s’en viennent, au municipal et au provincial, aussi ? Si dans l’idée d’écrire un texte revendicateur, un manifeste des gens qui font de l’art imprimé ou de la littérature, peut-être utiliser le fait que ces enjeux politiques-là arrivent pour se synchroniser et faire nos revendications.
LR : Il faudra communiquer régulièrement nos défis et nos drames, parce qu’ils ne le remarquent pas autrement. Si on le fait de la bonne façon, ils auront honte, c’est quelque chose d’honteux. Des fois quand les élus ont honte d’avoir ignoré une cause importante, tout à coup l’argent sort, tout à coup il y a une volonté de se rencontrer…Justement quand l’histoire de l’expulsion de la Médiathèque Gaétan Dostie était passée dans le Devoir, soudainement, un sous-ministre du ministère de la culture dit qu’il faut qu’on se rencontre…Ça avait l’air prometteur, ca n’a pas vraiment été une solution, mais avec un peu de bruit, dès qu’ils ont pris connaissance, il y avait au moins une rencontre.
Hermine : Nous, on en parlait justement hier en réunion à Kabane, on sait que pour Bâtiment 7 une des choses vraiment efficaces, ça a été la pression électorale. C’est qu’ils avaient tellement bien occupé le terrain dans le quartier que finalement, ils avaient vraiment cette masse critique de gens autour d’eux qui pouvaient vraiment faire basculer les choses. Nous on se disait, on devrait faire la même chose sur le Plateau-Mont-Royal pour Kabane et une des choses qu’on voulait faire, c’est une sorte de petit bulletin/ newsletter, qu’on pourrait distribuer dans les boîtes aux lettres des gens, et que ça soit suffisamment beau et inhabituel pour que les gens le lisent. Et en fait, ce faisant, à travers cette espèce de masse énorme de hipsters et de nouveaux travailleurs culturels d’Ubisoft, de trouver des alliés potentiels, et d’essayer de les rassembler autour du projet.
Manu : Une idée qu’on avait eu c’était justement d’occuper ces espaces-là avec des trucs qui sont pas déplaçables facilement par la Ville de Montréal, dropper une presse offset dans Kabane, imprimer des trucs dehors, au grand jour, puis juste de dire, est-ce t’aimes ça ce qu’on est en train de faire, pourquoi est-ce qu’on peut pas le faire tout le temps? C’est une idée qui reste quand même dans notre tête, avec la Médiathèque et la Passe on a pas exploré l’avenue de l’occupation sauvage ou plus radicale, parce qu’on avait peur pour les archives, parce qu’on avait des conflits au sein de l’administration, pas tout le monde était content de ça, mais c’est sûr que si on regarde au niveau de la mémoire, le seul plan qui a marché finalement c’est les occupes sauvages de bâtiments et ils se sont fait donné le truc. Peut-être penser à des trucs plus comme ça, ce qui est pas fait habituellement dans le milieu montréalais, genre l’histoire des squats à Montréal est assez courte quand même…Essayer peut-être de voir comment on pourrait s’allier là-dedans, en respectant les différents partenaires, et en respectant que tu peux pas forcément faire du feu avec des archives des années 60 ou des trucs comme ça…Mais de vraiment occuper les terrains, parce qu’après avoir essayé les avenues électoralistes, aller parler aux élus, puis aller chercher des subventions, ou aller faire çi et ça, qu’à chaque fois on se faisait claquer la porte au nez avec un sourire, ou encore aller au privé pour devoir relouer les espaces trop chers… Ben il reste plus grand-chose finalement.
Hermine : Dans le cas de Kabane on a rien à perdre, on pourrait organiser une foire d’art imprimé dans Kabane puis…On a fait d’ailleurs, des petits événements à l’extérieur, tout était toléré parce que c’était semi-concret.
Manu : L’ancienne École des Beaux-Arts, on y avait pensé pour la Médiathèque, puis on avait parlé justement au Ministère de La Culture, et c’était l’enfer…
LR : Ah, ben ça c’est classique, c’est la propriété de la Société Immobilière du Québec, qui depuis notre rencontre avec le ministre a explosé en scandale…(rires) C’est peut-être pour plusieurs raisons qu’ils ne sont pas ouverts à fournir des infos sur leurs bâtiments vacants et tout ça…
Manu : Ce bâtiment-là, il y aurait de la place pour absolument tout… (rires)
LR : Mais j’ai appris par la suite, qu’il y a un grand travail à faire pour enlever l’amiante dans ce bâtiment.
Manu : Bah, on travaille avec des masques…(rires) Mais ce qui est drôle c’est le double discours auquel on fait face tout le temps, c’est à dire que nous on se fait expulser pour des conneries, puis on regardait aussi un très beau bâtiment, qui est le bâtiment La Patrie, qui est situé sur la rue Ste Catherine sur le coin d’Hôtel-de-Ville, qui était le bâtiment qui a été l’X, qui a été fondé comme l’imprimerie la plus moderne en Amérique du Nord par Honoré Beaugrand pour le journal La Patrie, ça a été l’X pendant un bon bout de temps à Montréal. C’était un centre culturel punk qui distribuait de la bouffe, il y avait un disquaire, une salle de shows… Ils étaient à ça de faire un « punk rock bloc » comme ils appelaient, ils avaient écrit le plan d’affaires et tout… Finalement ils se sont fait coupés l’herbe sous les pieds par le gouvernement qui a vendu le building à l’UQAM, qui l’a revendu sept ans après à l’Église de Scientologie parce qu’ils peuvent pas rien faire avec, et qu’ils disent qu’ils n’ont pas besoin de locaux. Puis l’Église de Scientologie paye pas de taxes depuis que c’est arrivé, et cette semaine le building était censé être saisi par la Ville, et là ils ont tout payé. On misait beaucoup sur le fait que ça soit saisi, mais donc ouais, on fait face à ce double discours-là, tu peux pas te battre contre l’Église de Scientologie qui a des millions de dollars…
LR : Faut dire que notre cause est une cause commune avec le milieu du patrimoine et de sauvegarde du patrimoine, qui est aussi désespéré que nous, ayant vu les décénnies à Montréal où ça n’a jamais changé. C’est des alliés à ne pas oublier. Aussi des gens comme le projet de l’Entremise, qui tentent d’amener à Montréal ce qui existe dans les autres grandes villes : des pop-ups – occupations éphémères des terrains et locaux vacants, des vitrines vacantes, des bâtiments vacants. Ils cherchent des façons d’occuper de façon éphémère ou temporaire, mais des fois le temporaire pourra devenir un an, deux ans, trois ans..Ça s’est fait très très peu à Montréal. j’ai même parlé au maire Coderre de ça, lui et son département d’Urbanisme trouvent toutes sortes d’excuses pour le pas faire – « il y aura un nouveau bâtiment là sous peu », et les années passent sans rien…Les développeurs aiment bien voir les bâtiments vides, vacants, en détérioration parce qu’ils ne veulent pas rénover des vieux bâtiments, ils veulent raser et mettre quelque chose de plus grand. C’est beaucoup plus économique.
Mais si on peut convaincre quelques élus de soutenir l’idée des pop-ups, ça pourrait beaucoup aider. Par exemple le Musée du Rock’n Roll aurait voulu s’installer coin St Laurent-St Catherine, qui a été exproprié en 2009, pour animer les vitrines avec des expositions, mais ils ont dit non, l’année prochaine on creuse là, ça va être bâti. Là on est en 2016, 7 ans plus tard, c’est encore là, ça aurait été parfait d’avoir quelque chose au lieu des fenêtres barricadées.
En fin de compte il ne faut pas oublier que c’est des grands alliés avec une cause commune, on est ensemble, les écrivains, les auteurs, les éditeurs, et le milieu de protection du patrimoine à vraiment vouloir défendre notre culture, notre patrimoine écrit, bâti, tout ensemble…Bref, on est la voix de Montréal, le milieu des éditeurs, des écrivains, et des artistes. C’est pas exagéré de dire que c’est toute l’âme de la ville qui est à risque, en mettant ça comme n’importe quelle autre ville banale nord-américaine, avec que les taxes foncières qui comptent…
Fille : Ben ça nous prendrait pas, genre au moins une deuxième rencontre, peut-être au début 2017, voir un peu qu’est-ce qu’il en est? Genre, l’année du 375e…
(rires)